You'll sailing from another world (Nal & Skoldr)

La pluie s'est dissipée, elle a frappé les ruelles avec fracas sans pour autant rafraichir le sol de la chaleur de la journée. Elle a pourtant rendu sourd pendant de longues heures tout bruit de vie dans la citadelle. A l'abri dans son bateau, la bougie éclaire ses petites mains qui travaillent a raccommoder sa voile trouée. Percevant le silence qui revient dans le port Nàl lève les yeux vers le hublot de sa cabine, se rend compte de l'heure avancée de la nuit et termine un dernier point. Un coup de ciseau, voilà le travail terminé, et pourtant l'heure n'est pas au repos. Car la ronde de la nuit commence, et pour une seule raison, ou pour une seule personne : Skoldr. Puisqu'il ne pleut plus les gens vont commencer a sortir, pour certains déjà occupés dans les bars, ce qui l'intéresse c'est de savoir s'il a été client ce soir ou pas. Parfois elle ne le croise pas, parfois oui et dans ces cas là il n'est jamais en très bon état. La brune regagne le quai, une douce brise s'engouffre dans sa veste qu'elle rajuste. Le pas pressé, elle a un trajet très défini où elle est certaine à 100% de le croiser s'il a eu la main trop lourde sur la boisson. L'inquiétude marque son visage, fait froncer ses sourcils tandis qu'elle presse le pas. Des voix éclatent dans les rues, des rires, des menaces, de tout, les passionnés d'alcool prennent l'air et elle sait alors qu'elle a de grandes chances de le croiser s'il y a du monde. Elle a instauré ces rondes là parce que la récidive est trop importante. Et quelle n'est pas sa surprise de le voir en train de taper sur un autre type. Il lui a mis un sacré coup mais elle n'a pas le temps d'arriver a sa hauteur qu'il s'en prend une qui le cloue au sol. « Hey ! Toi ! Dégage !! »Elle hurle, se précipitant vers eux. Elle n'a pas besoin d'être plus violente que ça, Skoldr lui en a déjà mis pas mal dans la figure, elle se contente de le pousser pour qu'il tombe a la renverse et ce dernier commence aussitôt sa  nuit a même le sol.

Pas de heurts, juste assommé, et Skoldr lui est dans un piteux état. La brune soupire, avant de se tourner vers son protecteur. Pas de temps à perdre, elle se penche vers lui, prend son bras pour le mettre a ses épaules, le sien glisse a sa taille pour l'aider à se relever. Ce n'est pas la première fois qu'elle le ramasse comme ça, et ce qui la chagrine c'est d'avoir conscience que ce n'est sans doute pas la dernière. Mais cette fois ci, elle semble plus inquiète que d'habitude, n'aime pas le voir dans cet état altéré alors qu'elle sait ses capacités et ses talents. Il a bien plus a offrir que de rester ivre mort, cette discussion là a fait mille fois objet de débat et parfois même source de disputes entre eux. Elle constate qu'il tient sur ses jambes, une pression sur sa taille, elle l'invite à la suivre. A t-il conscience que c'est elle qui est là ? N'importe qui pourrait l'emmener, le dépouiller, le tuer. Dans les ruelles elle le guide ainsi jusqu'au port, puis le fait monter sur son bateau où elle le fait descendre dans sa cabine. C'est très exigu, mais elle y vit seule, elle n'a pas besoin de grands espaces, juste de sa bonne organisation. Elle manque de trébucher dans les escaliers, son poids venant la surprendre dans la manœuvre. Mais elle parvient a le jeter sur son lit où il retombe lourdement. Là il sera bien mieux que dans la rue, et puis elle pourra le surveiller. Nàl lui retire ses chaussures boueuses pour qu'il ne salisse pas le lit, lui retire aussi sa veste et la met sur le côté. Sa main se pose sur son front moite, il a quelques égratignures à soigner, rien de très sévère. Il est demi conscient elle voit ses yeux embrumés, il est là mais pas là, espérons juste qu'il la reconnaisse. « T'as encore forcé Skoldr. » Elle murmure, n'attend pas forcément une réponse, c'est simplement une constatation. Elle attrape une gourde  d'eau avec du citron pour dissiper l'alcool et lui éviter de trop souffrir de son ivresse - Au moins pour soulager son organisme et lui éviter de trop être malade. Elle cale un oreiller dans son dos pour le redresser, lui colle le goulot de la gourde a ses lèvres et ne lui laisse pas d'autre choix que de boire son contenu. Ce sera pas ragoutant, il risque même de le lui cracher au visage comme cela est déjà arrivé. Elle a cette recette a chaque fois, c'est tristement pour lui qu'elle s'assure de ne jamais en manquer. Aussitôt qu'il se rend compte de l'acidité, elle l'encourage a ne pas recracher« Allez bois, c'est pas bon mais ça va te faire du bien. »

La résistance physique que l'on prête aux immortels est une bénédiction que tu vis en malheur : il te faut débourser beaucoup à la taverne des Larmes de Kvasir pour espérer finir en dessous de tout ! Tu te rassures en te disant que tu n'es pas le seul à rechercher cet état. Même si tu restes principalement dans ton coin, il y a toujours une personne ou deux au cours de la soirée qui va te tenir la jambe. Tu ne prêtes pas attention aux paroles superficielles et aux réflexions abracadabrantesques que te livrent les autres benêts ivres. Tu bois pour oublier, pas pour te remplir la tête d'inepties qui ne te concernent en rien.

Chacun a ses problèmes. Chacun ses raisons de vouloir se mettre dans cet état dégradant et décadent que votre nature est censée combattre. À croire que tu veux te faire du mal... Comme si la culpabilité que tu ressentais d'avoir failli à la protection du roi nécessitait chez toi un châtiment plus important que ce que tu as déjà dû subir. Tu te sens vide, sans but ni espoir. L'hydromel te met un pansement qui a tôt fait de s'arracher... Tout ce que tu es parvenu à construire : cette place que tu t'es fait en tant que sénéchal du roi, le prestige et la noble quête qui t'était confié, même cette fiancée que l'on t'a enlevé et qui te fuit, tout ça s'est évaporé.

De l'espoir, il en reste pourtant un peu... De vaines tentatives plus que maladroites pour éveiller chez Aevi un sursaut de considération, la princesse Vanhylde que tu as juré de protéger coûte que coûte... Sur le départ, tu chancelles et entends des badauds se permettre des blagues douteuses sur celle qu'on nomme "la fille d'Idunn". Des paroles obscènes qui te font faire volte-face et engager une rixe que tu n'es pas en état de gagner. Eux non plus, et tant mieux. Aux premiers coups, certains s'échappent et tu restes aux poings avec un des résistants.

Et cette einheri... Nàl. Amie de toujours. Tu es tant habitué à sa présence, à sa prévenance, qu'elle fait partie du décor. Ce qui est assez péjoratif en soi, mais ça va avec le fait que tu n'as aucune idée de la chance que tu as d'avoir une amie si fidèle. Si attentionnée et pourtant, tu n'as jamais pensé à la remercier ni même à prendre conscience de tout ce qu'elle fait juste pour toi. Tu te dis qu'elle est juste gentille, Nàl. Tu n'ouvres pas les yeux sur ce qui pourrait se cacher entre les lignes. Tellement habitué à sa présence, que tu n'as pas conscience d'à quel point son odeur, sa voix, te sont aussi familiers que tu n'hésites pas à la laisser te porter. Une confiance quasi aveugle vous lie. Votre passé commun et les épreuves traversées te suffisent à dire que c'est normal.

En équilibre sur son épaule, tes pas suivent les siens. La gueule amochée, l'œil gonflé par un coup bien placé, tu ne cherches pas à regarder où elle te mène. Un à coup de trébuchement dans les marches te fait pouffer un rire amusé. Tu n'as pas la présence d'esprit de te tenir aux parois, tu t'accroches juste à elle. Balancé sur le lit, tu ris de nouveau avant de grogner à cause d'une vive douleur dans les côtes. Tu as ramassé, c'est clair... Allongé, ta tête se met à tourner, et tourner... Sans aucune opposition, tu te laisses déshabiller par Nàl. C'est confortable, de se laisser faire. Tes traits se plissent à peine quand le citron vient toucher tes blessures. L'alcool anesthésie encore tes récepteurs. Quand elle te met le culot aux lèvres, c'est là que tu reviens à toi. Tu tousses et la moitié de ta gorgée s'éparpille. Mais tu n'as pas assez de volonté pour aller contre ta sauveuse et à son ordre, tu acceptes d'ingurgiter l'infâme remède. « Tu pourrais ajouter du sucre, c'est dégueulasse ton truc... » Articules-tu avec difficultés en te redressant, les traits crispés par l'acidité du breuvage. Dans la pénombre, tu ne comprends pas trop où tu te trouves, tu sais juste que ça tourne.

Aucun remerciement, aucune excuse non plus. Tu lui infliges ton état depuis cinq ans... Elle sait comment tu fonctionnes et persistes à vouloir prendre soin de toi, le sénéchal déchu. Au lieu de t'estimer heureux d'avoir quelqu'un capable de te supporter même dans tes pires états, tu te demandes simplement pourquoi elle perd son temps avec toi.

Nàl est en quelque sorte soulagée d'avoir l'oeil sur lui ce soir. Et maintenant qu'il est sous sa protection il ne pourra rien lui arriver de grave. Dire qu'elle a déjà sacrifié une partie de son immortalité pour lui, et qu'a tout moment ça peut recommencer. Elle n'aurait pas envie de le faire, mais en extrême nécessité, pour lui elle le referait encore. Tandis qu'elle lui tend la gourde pour le faire boire, quand le citron attaque ses papilles il tousse un peu. Elle met sa main en dessous pour que ça ne l'éclabousse pas et l'incite a y aller plus franchement.  « Les plus mauvais sont les plus efficaces, il me semble que c'est toi qui m'a appris ça non ? » Elle rétorque simplement, pas certaine qu'il ait a ce moment là assez de présence d'esprit pour comprendre ce qu'elle veut dire. Et puis du sucre sur de l'alcool c'est pas certain que ce soit une bonne idée. Là, le mélange lui permettra d'éponger un peu, d'avoir un sommeil plus réparateur et de ne pas souffrir au réveil. La brune met la gourde de côté, jugeant qu'il en a pris assez, puis elle prend une bassine d'eau, un chiffon et commence a nettoyer ses plaies. « Laisse moi voir ça. » Elle inspecte, elle l'a souvent soigné, et pas seulement quand il se prend des cuites heureusement. C'est quelque chose de normal pour elle, elle tient a lui, s'inquiète pour lui et prend soin de lui comme il aurait pu le faire auparavant. Il n'est plus ce qu'il était auparavant, pour autant il n'a jamais été question de le laisser tomber. Elle n'attend pas de reconnaissance, ni même de merci en retour, elle veut juste qu'il aille bien, qu'il apprenne a se ressaisir, a prendre soin de lui. Il est celui qui lui a inspiré sa force et sa détermination, elle est triste de le voir sombrer. Bien sûr il est en droit d'avoir des mauvaises passes, mais cette dernière dure depuis trop longtemps et elle pense sérieusement a le secouer de manière plus radicale dès qu'ils auront une conversation en toute sobriété.

Si sa vie d'avant n'existe plus, il serait peut être temps de l'accepter, de prendre cela comme une opportunité d'en avoir une nouvelle. Comme elle, une fois libérée, elle s'est sentie perdue et sans repères, mais elle s'est ressaisie, elle s'est focalisée sur ce bateau et la voici aujourd'hui indépendante. Il pourrait faire pareil, prendre un nouveau départ, avancer. C'est l'état d'esprit qu'elle essaye de lui inspirer a son tour, voudrait pouvoir lui être utile autant qu'il l'a été pour elle mais là elle se sent complètement démunie. Elle applique un peu de remède désinfectant sur un linge propre « Attention ça pique. » Elle l'avertit une demi seconde avant de le poser sur la plaie consciente que ça ne pique pas qu'un peu ce genre de chose mais ça évitera toute surinfection.« Reste tranquille, après je t'embête plus. » Elle fronce les sourcils, observe a la lueur de la lumière ses blessures pour ne pas en louper une seule. Se penchant sur lui pour observer l'état de son œil, son regard se glisse dans le sien, voilé, fatigué. Il a dû vraiment boire beaucoup pour être dans un tel état, si elle lui demande est ce qu'il se souviendrait du nombre ? Il a dû dépenser une fortune pour ça ? Nàl soupire doucement. Certains lui demandent pourquoi est ce que après tout ce temps elle continue d'aller le ramasser, de carrément organiser des rondes pour aller le chercher. Elle ne sait pas ce qu'elle leur répondrait de concret, Skoldr est important pour elle, leur relation l'est, elle ne veut pas le perdre. « Ca va c'est pas si grave, ça dégonflera rapidement. » Elle constate tout haut. Plus de peur que de mal et elle l'a rammassé dans des états pires que ça. Nàl remet le linge dans la bassin, la bassine mise de côté, elle pose son avant bras sur le torse de Skoldr puis repose son menton dessus. Elle l'observe, aimerait lui crier a la figure qu'il se détruit et qu'elle déteste le voir comme ça, mais elle demeure silencieuse. « J't'emmène en mer demain. » Elle ne lui demande pas s'il est ok ou pas, il est là, il n'a pas le choix. Prendre du recul, s'éloigner un peu d'ici, ça pourrait lui faire du bien. L'alcool l'aide a oublier, mais prendre de la distance peut aussi l'aider elle en a la certitude. « Tu sais comment on fait un nœud coulant ? » Elle dédramatise un peu.

Malgré tous les signes de protestation et de rejet que tu exprimerais, Nàl te connaît bien assez pour savoir que tu n'es pas à refuser son aide. Tu as juste trop d'orgueil pour l'admettre. Contraint, tu engloutis le reste du remède abject en grognant. « J'dis beaucoup de conneries... » cherches-tu à te défendre hasardeusement d'avoir un jour admis que ce genre d'horreur pouvait être efficace. Te contredire est assez courant quand ça peut t'amener à justifier ton rejet. Ta diction est une langue à part qu'il faut déchiffrer. Qu'elle ait fini par comprendre ta langue au fil de tes cuites ou non, ça n'a pas de grande importance à cet instant où tu reposes ta tête pour rester allongé.

Tu continues à grogner quand la einheri s'attèle à nettoyer les quelques plaies héritées de la précédente rixe. Un gémissement plus appuyé, autant par la surprise que par les picotements que ça impose à ta chair. Tu es plutôt dur au mal, mais ton état second embrouille encore ton esprit, si bien que tu surréagis au moindre touché. Pourtant, Nàl se montre délicate, patiente, consciencieuse. Alors qu'elle scrute la moindre parcelle de ton corps meurtri par cette bagarre de comptoir, tu te contentes d'observer ses yeux d'obsidienne. Nàl est d'une beauté glaçante et déroutante, quand tu la regardes de plus près. En tout cas, quand tu la regardes avec assez d'hydromel de Kvasir dans les veines pour en oublier la petite fille que tu protégeais jadis.

À tes yeux, Nàl a toujours été une sorte de petite sœur à préserver des dangers, à qui donner les armes d'affronter le monde. Cela fait bien des années qu'elle n'est plus cette petite fille fragile et délicate. Tu regrettes cette époque. Ton visage est sans doute affreux à cet instant, mais sur ce bref moment où elle te toise avec attention, tu la vois telle qu'elle est aujourd'hui sans trop savoir ce que tu ressens. De la fierté ? De l'amitié, c'est sûr. De la complicité, pour toujours, mais tu fermes les yeux et préfères sentir le monde tournoyer autour tout autour de toi. Perdre pied, sentir les forces divines t'entraîner dans une valse incessante... Beaucoup auraient la nausée, mais pas toi. Tu aimes cette sensation, à plus forte raison que la moindre ondulation provoquée par l'eau amplifie grandement cette impression de tourner, encore et encore.

Ce n'est qu'à la sentir se blottir contre toi que tu reprends le cap. Pour autant, tes yeux restent clos. C'est moins douloureux comme ça. L'adrénaline et l'ivresse redescendant, tu subis l'après. Tu entoures Nàl de ton bras, dessines doucement de la pulpe de tes doigts des formes sur son épaule. « Mm... tu veux pendre qui ? » Tu espères faire un trait d'humour, mais le ton monotone que te fait employer ton état est loin de s'apparenter à un second degré. Tu es bien plus amusant sans cet alcool au cerveau ! Mais, tu esquisses ce qui semble être un début de sourire. Cela pourrait sauver ta médiocre tentative. Bien que tu n'ais pas dit oui, tu ne dis pas non à ce que tu as compris de son « invitation ». De toute façon, elle serait capable de t'attacher au mât pour te contraindre à prendre l'air marin.

Nàl observe Skoldr, il a beau rien dire et pas tout lui raconter elle voit bien qu'il est toujours préoccupé, envahi par des souvenirs, des regrets. Elle n'aime pas le voir comme ça, aussi elle essaye d'être présente pour lui autant que possible. Son bras entourant son épaule, elle se sent proche de lui, apprécie le contact, espère qu'il sent à quel point elle tient à lui. Elle va l'enlever pour l'emmener avec elle, quelques jours en mer, de quoi l'éloigner de cet endroit et ce qui le rattache a ici. Elle essaye de le taquiner un peu, il prend la blague au mot, ce qu'il lui demande la fait pouffer de rire.

« Toi par les pieds pour me servir de figure de proue » Elle se redresse, lui chatouille les flancs en lui pinçant la peau, dans une envie frustrée de le secouer mais n'a pas envie de le brusquer alors qu'il est au plus mal. « Quelle belle figure de proue ! » Elle plaisante encore, la perche tendue à la blague était facile, elle l'a saisie. Nàl l'observe quelques secondes en siolence, voit qu'il est fatigué et qu'il est temps pour lui de dormir. Elle le préfère comme ça que dans la folie et la colère de l'alcool. Nàl le recouvre d'une couverture et le laisse tranquille, sombrer surement dans les limbes du sommeil. N'ayant qu'un lit ils le partageront, mais elle ne le rejoint pas tout de suite. Elle se met à son bureau quelques heures encore durant, concentrée sur ses cartes, dessine le trajet du lendemain pour pouvoir s'y retrouver facilement. Dans le silence de la cabine, le vent marin souffle doucement sur le bois de la coque. Les cordes frottent, les voiles repliées  frissonnent, l'ambiance a bord n'est jamais complètement silencieuse, mais ce sont des bruits qui lui sont familiers depuis qu'elle vit à bord. Sur les heures avancées de la nuit elle finit par étouffer la flamme de sa chandelle, vient se mettre dans le lit et s'enroule dans sa couverture. Le roulement doux des vagues bercent très lentement le navire, accompagnent rapidement son sommeil. Maintenant qu'elle le sait en sécurité la nuit sera paisible, même s'il demeure en elle un état d'inquiétude le concernant.

La lumière de l'aurore a peine naissante, Nàl est déjà levée, en train de préparer le voyage, de mettre en place la voile raccomodée, elle laisse encore quelques instants de sommeil à Skoldr. Elle a même eu le temps d'aller chercher de quoi manger. Pas d'alcool a bord, enfin si mais la cachette est un secret et de toute façon ils ne pourront pas festoyer en mer. Tandis que l'horizon s'illumine doucement, elle observe au loin la mer qui sort de l'obscurité, le vent est assez doux, et au loin le ciel est dégagé. Le voyage devrait être plutôt tranquille dans un premier temps, ce qui leur permettra d'arriver sans encombres au premier stop. Une île au large, très petite, mais aussi inhabitée, sauf par quelques petits animaux. Il paraît qu'on y trouve aussi certaines gemmes qu'elle convoite, un peu d'exploration en perspective. Elle sourit, il est temps de quitter le port, mais pour ça elle veut d'abord réveiller Skoldr. Elle descend dans la cabine. Une main sur son épaule, elle l'agite doucement pour le réveiller. « Allez matelot, il est temps de mettre les voiles ! » Il sent encore l'alcool, elle espère que le remède a fait effet et que la gueule de bois est modérée. « T'as encore pris toute la place ! » C'est pas lui qui est trop grand, c'est surtout la couchette qui est trop petite pour deux personnes, mais Nàl n'a pas l'habitude de dormir avec quelqu'un d'autre. Sauf lui, régulièrement, il lui faudrait peut être penser à réaménager sa cabine. Se retrouver collée contre lui a un moment de la nuit l'a troublée, elle pouvait même entendre les battements lents de son coeur. « Y'a du pain chaud, des fruits secs et du potage, mange un peu et rejoint moi sur le pont quand tu te sentiras prêt.» Nàl a l'habitude de naviguer seule, elle n'a pas forcément besoin d'aide pour prendre la mer, alors elle lui laisse quelques instants de répit encore, retrouver ses esprits après la nuit qu'il a eue.

Alors elle remonte, libère une partie des voiles, défait les cordages et sent le navire commencer à s'éloigner du quai. A la barre elle le guide, toujours heureuse de pouvoir voguer sur les mers, espère que cela sera bénéfique a Skoldr.

Cet état, ce n'est pas toi. Tu le portes bien, et l'alcool a une belle jambe pour les déboires que tu poses sans te préoccuper des répercussions ou de la façon dont ils peuvent être perçus. Mais ça te fait du mal de l'intérieur, tu le sais. Les jötnar autant que les einherjar ont une résistance à ce qui peut les altérer et ce n'est pas pour rien : l'abus de toute chose cause des dégâts irréversibles. Tu espères peut-être secrètement qu'un jour, l'hydromel te fera complètement tourner la carte, sombrer dans la folie. La folie serait si douce comparée à ce que tu traverses...

Inlassablement, tu tombes dans ce gouffre qui te paraît infini. Sans personne pour te rattraper. Car à tes yeux, tu es irrécupérable. De fait, ton amie Nàl a beau faire tout ce qui est en son pouvoir, tu saccages les efforts qu'elle fait pour toi à la seconde où tu retournes à cette taverne. Tant d'énergie, tant de dévotion... Alors qu'en l'état, tu n'en mérites pas un dixième. « Je ferais une excellente tête de proue ! » Te révoltes-tu en une grimace déterminée et convaincue face à son trait d'humour. Tu retiens les spasmes musculaires déclenchés par les chatouilles de ton amie tout en essayant de la stopper sans vraiment vouloir y parvenir. Tu aimes ces attentions qu'elle a envers toi. Son contact. Son sourire. Même si c'est pour t'embêter.

Une chose assez drôle, tu ne t'es jamais demandé ce qui se passerait si Nàl n'était pas là. Si demain, elle décidait de partir sans revenir. Ou même si elle n'avait jamais été à tes côtés. Tu la considères tellement comme acquise et comme faisant partie inhérente de ton histoire, que ça n'a jamais été une hypothèse sérieuse. Mais un sursaut de conscience te fait imaginer cette possibilité. La douleur que tu ressens alors n'est pas due à la bagarre qui a eu lieu dans la soirée. C'est plus profond. Ça te pince le cœur entre deux cisailles. Un bref instant, ton regard se fait tragique, effrayé même.

Les rires de Nàl ont cessé et tu la regardes, tout aussi silencieusement qu'elle te regarde. Ta main s'est glissée dans son dos et tu aimerais la serrer contre toi. L'empêcher de partir. La retenir. Pourtant, tu restes muet, figé. Tu te ressaisis et t'étends sur le lit de fortune dans un soupir exténué. Attentionnée, ton amie dépose une couverture sur toi et t'accorde le repos dont tu as cruellement besoin.

Impossible de savoir quand, ni comment, trop égaré dans tes songes, Nàl finit par te rejoindre. Instinctivement, tu as passé ton bras autour d'elle, protecteur et un brin possessif, peut-être. La nuit est douce, revigorante. Comme à chaque fois qu'elle te ramasse à la pelle sur les pavés de la Citadelle et que tu passes la nuit à ses côtés ! Tu étais si bien dans ce lit que tu tardes à te lever, si bien que c'est la capitaine qui doit te sortir de tes rêves.

Difficilement, tu essayes d'ouvrir tes paupières qui sont trop lourdes pour leur poids... Le contrecoup de la veille se paye au centuple ! Alcool, douleurs, rien ne va. Mais tu essayes de garder bonne figure. Non pas que tu cherches à te donner des airs de gros gaillard, Nàl te connaît assez pour que les apparences ne puissent la tromper, mais plutôt pour te donner du courage et réussir à te relever. « J'ai besoin de place, tu n'avais qu'à dormir sur moi, je suis sûr que je ferais un bon matelas », parviens-tu à articuler avec une voix légèrement enrouée.

Une fois debout, tu trouves que tu t'en sors quand même pas mal, finalement. Certaines gueules de bois t'avaient mis bien plus bas que ça au réveil !

Sans un merci ni autre politesse, tu t'approches du festin décrit par Nàl. L'appétit n'est pas au rendez-vous, mais tu sens que si tu ne suis pas ses conseils, ça peut mal tourner. Un morceau de pain trempé dans du potage et une petite poignée de fruits secs te suffisent. Une fois ce déjeuner ingéré, tu enfiles tes frusques et rejoins Nàl sur le pont. En quittant la cabine, tu remarques que des voiles sont déployées et que ton amie tient la barre. Tu lèves un sourcil et comprends que vous quittez déjà le port ! Est-ce un de ses caprices ou bien un plan décidé dans la nuit dont tu n'aurais plus le souvenir ? Dans le doute, tu essayes de masquer cette moue dubitative qui a conquis ton visage pour aller vers elle.

Le bateau n'est pas bien grand, mais ça reste imposant et impressionnant. Surtout qu'elle est seule membre de son équipage. En arrivant à sa hauteur, tu as un sourire aux lèvres. Un rictus qui te donne l'air bête. Autant que l'est ta pensée à cet instant : car tu imagines que, quels qu'eurent été ses équipiers, elle les aurait balancés par-dessus bord au bout d'une journée à peine ! Nàl est indépendante, sûre d'elle et libre. Elle n'est pas de ceux qui s'encombrent du poids des autres. Ce qui, par extension, vu ta présence sur son navire, te place en une divine exception. Dire que tu n'en retires pas de l'orgueil serait un mensonge ! « On part faire une petite partie de pêche ? » Suggères-tu innocemment dans l'espoir de prêcher le vrai : tu n'as aucun souvenir des plans prévus pour la journée.

D'ordinaire, tu retournes sur le port et reprends ta triste routine à la Citadelle. Elle t'invite rarement à naviguer à ses côtés... Ce qui, en soi, n'est pas pour te déplaire. Peut-être que t'éloigner quelques temps de la ville peut te faire du bien...

Nàl dort toujours bien quand elle dort avec lui, d'une part parce qu'elle le sait ici et pas ailleurs, parce qu'il lui tient chaud mais aussi parce qu'elle même se sent protégée dans ses bras. Au milieu de la nuit quand elle s'est réveillée tout contre sa peau elle s'est sentie prise d'une vive émotion, craint toujours de le perdre, qu'il fasse la bêtise de trop et qu'un jour on lui apprenne qu'il s'est fait tuer et qu'elle ne puisse plus être près de lui. Elle ne lui pardonnerait pas. Alors elle s'est un peu plus blottie contre lui, pour tenter de chasser les mauvaises pensées Dans ses bras elle avait l'impression de retrouver ce lien qu'ils avaient, tandis qu'il l'entourait de ses bras comme pour veiller sur son sommeil, pour la protéger. Lui aussi semble avoir bien dormi, le réveil sera quand même surement difficile au vu de sa cuite d'hier mais il fait bon et le vent est frais, ça l'aidera a se revigorer. Elle l'a que trop rarement emmené avec elle, mais cette fois ci elle ne lui a pas laissé le choix. Dans l'envie de le préserver et lui permettre de prendre un peu de recul, elle l'a arraché a la cité et maintenant il se retrouve au milieu de la mer, sans rien autour, sans structure, sans hiérarchie, totalement libre de dire, de penser, de ses actions et d'inventer sa vie. Il se réveille rapidement quand elle l'interpelle, sourit en voyant sa tête d'endormi et ses quelques cheveux décoiffés.

« Toi mon matelas et moi ta couette ? Ça me semble équitable. » Elle lui répond avec un petit rire. Lui en matelas, c'est surement très confortable, a en juger l'épaisseur de certains de ses muscles elle sait qu'elle aura de quoi reposer sa tête, et sera bercée par les battements lents et paisibles de son cœur, comme ça a été le cas cette nuit ; Même si la position risque de la faire rougir. Elle lui laisse le temps de se réveiller, de toute façon elle n'a pas besoin de mains supplémentaires pour faire avancer son navire, le voilier est bien assez petit pour être seul a manœuvrer. Elle remonte les pare rabattage et  alors très vite les côtes disparaissent quand elle sort sa grand voile et que le vent s'y engouffre. Elle ajuste pour pouvoir diriger vers là où elle veut, la carte en tête mais de quoi vérifier sur son bureau dans la cabine quand elle n'aura plus de repères. Et quelques instants plus tard il réapparait, pas tout a fait frais mais il y a du mieux, ce qu'il a ingéré lui permettra de supporter plus facilement le voyage.

« On pêchera si tu veux oui, j'ai le matériel ! On fera griller la pêche sur une plage ce soir » Nàl lui propose avec un sourire. Elle-même pêche parfois quand elle passe beaucoup de temps en mer et qu'elle ne veut pas trop taper dans les réserves de nourriture. Elle ignorait que Skoldr était un fan de pêche mais avec son matériel il pourra se faire plaisir. Elle a même de quoi l'initier a la pêche sous marine et  avec tout ça, ça leur fera un bon repas a déguster. Elle le voit un peu égaré, sans doute n'a t-il pas souvenir de tout ce qu'il s'est passé la veille alors elle lui donne quelques détails. « On va sur une petite île au large, pas bien grande, on se mettra au mouillage et si tu veux m'accompagner je vais aller sur l'île pour chercher des pierres que je convoite. Et après si tu veux pêcher j'ai l'endroit idéal.» Elle ajuste la barre, la bloque pour garder le cap et se redresse, descend une marche pour se retrouver près de lui pour vérifier l'état de ses blessures. Elle ne va pas le forcer a se confier par rappot a la veille, s'il a envie de parler, il sait qu'elle est là pour l'écouter et qu'elle ne le jugera pas sur sa manière de prendre et d'encaisser les événements de sa vie, elle l'a entendu plusieurs fois parler de ce qui le touche. Elle n'est pas là pour lui montrer de la pitié, elle n'en éprouve pas et il n'a pas besoin qu'on se sente peiné pour lui. Skoldr est un homme fort et plein de ressources qui s'oublie quelque peu, beaucoup même car ça fait déjà cinq ans qu'il n'arrive pas a passer a autre chose. « Tiens, viens prendre la barre comme ça si je me fais manger par un requin tu sauras rentrer. » Elle lui montre comment faire, c'est quelque chose qu'elle ne laisse pas a tout le monde, et dans sa main il contrôle la totalité du bateau. « Tu vois de quel côté vient le vent, toi tu controles le gouvernail avec la barre et selon l'angle tu diriges le navire pour que la voile prenne le vent et après il glisse tout seul. Si le vent t'es favorable t'as juste a maintenir le cap, sinon il faut tirer des bords et faire des virages. » Elle lui montre comment barrer, lui montre selon s'il pousse ou s'il tire comment réagit le bateau. Puis elle relâche la barre pour le laisser seul commandant, il peut sentir la puissance du vent qui souffle dans la voile, la puissance des vagues sur lesquelles ils voguent. Elle n'a pas de date de retour prévu, ils peuvent prendre le temps, elle le laisse tester comme il le souhaite. Le navire prend de la vitesse selon ce qu'il en fait. Elle sourit et s'assied face à lui, en profite pour tresser ses longs cheveux noirs. Diriger un navire c'est un peu comme décider de ce que tu fais de ta vie, tu saisis les opportunités, si le vent est bon ça vient tout seul, sinon il faut s'adapter pour arriver a destination. « Alors Capitaine ? tes impressions ? »

L'équation parfaite de votre union : une literie remarquablement confortable ! Un constat bien étrange. Résidu de ta soirée d'hier ? Peut-être que l'hydromel t'est plus monté à la tête que tu ne le pensais...

Le plan semble être une journée loin de tout. Peut-être plusieurs jours ? Tu sais qu'elle t'assure de poser pied à terre dans la soirée le temps de faire frire votre pêche. Tu n'as pas assez de patience pour ce genre de loisirs, mais le fait de partir à l'aventure signifie aussi parvenir à se sustenter sans trop piquer dans les réserves. Le poisson est un bon plan, car vos deux natures vous empêchent de chasser sans perdre un peu de vous-mêmes. Si les jötnar sont liés à la nature, les einherjar sont liés à la vie, et cela dans un cercle infini qui définit votre immortalité. Un dont que tu ne veux plus gâcher inutilement. « Le programme me plaît », lances-tu avec une pointe d'indifférence quand elle détaille sa mission : récupérer des pierres qui intéressent la joaillière. Mais rien qu'aux plis sous tes yeux, il est facile de deviner que ça te fait plaisir de faire cette escapade avec Nàl.

Tu observes les gestes de la capitaine à la barre, essaye de comprendre le rouage de ces cordages et des manœuvres qu'elle exécute avec précision. Son bateau, c'est l'extension d'elle-même. Sur les mers, Nàl est chez elle. Une vision qui émerveille tes yeux éreintés, enfermés dans des tourments qui taraudent ton esprit depuis trop d'années déjà. Et il en sera tel jusqu'à ce que le voile se lève sur la vérité. Noyé dans tes pensées, elle te repêche et t'invite à prendre la barre. Tu fronces les sourcils. « Je te promets de te manger avant le requin, sinon tu serais trop heureuse que tes restes profitent de la mer jusqu'au prochain Ragnarök ! » Tu lui souris et passes derrière elle pour prendre la barre.

Après quelques explications qui te sont on ne peut plus utiles, Nàl te laisse seul maître aux commandes. Tu te doutes que ce n'est pas quelque chose qu'elle fait à tous ses invités. Même, qu'elle n'a pas habitude d'avoir d'invités sur son navire. Alors, tu savoures cet honneur, prends conscience de cette confiance qu'elle te dédie.

Tu regardes au loin, apprécies la sensation satisfaisante de sentir les forces combinées des vagues et du vent au contrôle de cette seule barre. Tu as l'impression de former un tout entre ciel et terre, d'être maître de ces forces invisibles. Tes impressions ? « Je crois que je suis amoureux », siffles-tu en posant tes yeux sur la einheri. « Je comprends mieux pourquoi tu aimes naviguer ! » Ajoutes-tu avec conviction. « Par contre, on fait comment pour éviter les rochers quand le vent est trop fort ? » Tu poses la question avec un calme olympien, et pourtant, la proue approche dangereusement les rochers face à vous. Ton regard passe de l'émerveillement à l'intrigue.

L'air marin lui donne meilleure mine et ça fait plaisir a voir. Elle ne sait pas encore pour combien de temps elle l'emmène, aussi longtemps qu'il le veut pense t-elle. Aussi longtemps qu'il aura besoin de prendre du recul. Il est sans doute bien le seul qu'elle tolère plusieurs jours d'affilé avec elle sur son navire, avec plaisir même, a faisait déjà un moment qu'elle y pensait, c'est juste dommage que l'occasion se solit présentée dans telles circonstances. Elle sent le vent frais caresser son visage, a elle aussi a fait toujours du bien de quitter un peu la citadelle, et maintenant qu'il est là avec elle, elle se fiche même d'y revenir. Drôle de pensée, mais c'est comme ça qu'elle le voit, elle n'a qu'en tête tous les moments qu'ils vont passer ensemble. Elle rit de bon cœur quand il dit qu'il la mangera avant le requin. « Quel honneur ! » Quitte a choisir entre lui et le requin, le choix est vite fait. Elle voit que malgré ce qu'il a pu se passer la veille, il n'a pas perdu son humour, elle voit qu'il apprécie ce voyage et c'est tant mieux, a lui permettra de réfléchir un peu, lui parler s'il en a envie.

Son sourire s'efface un peu alors qu'il déclare être amoureux tout en ayant ses yeux posés sur elle. Est ce que son cœur vient de s'arrêter de battre ? Elle chasse la pensée qui lui fait croire qu'il est en train de lui dire qu'il l'aime puisque ce n'est pas possible, elle n'est certainement pas son genre de femme et elle a bien compris qu'il convoitait quelqu'un d'autre. Quelqu'un comme lui ne pourrait pas être amoureux de quelqu'un comme elle. Alors elle sait, c'est de ses impressions qu'il parle, juste ses impressions. Nàl a sent qu'elle est écarlate soudainement, il y a eu bien trop d'ambiguités en si peu de temps et même si elle le sait qu'il a de l'humour elle ne peut pas s'empêcher de penser a l'éventualité que c'est vrai. Elle lache un rire nerveux et se redresse, se concentre plutôt sur sa demande alors qu'il souhaite savoir comment éviter les rochers. Elle pose ses mains sur les siennes tandis qu'il tient la barre. « Tu regardes au loin et doucement tu tires ou tu pousses pour aller soit a droite soit a gauche, mais prends en compte le vent, là il arrive par la droite alors on va aller a droite sinon ça va nous pousser sur le rocher. » Calmement elle l'aide a doser et le bateau glisse sur l'eau, un peu de vitesse qui donne des chatouilles dans le ventre tandis qu'ils évitent habilement le rocher.

« T'es né pour naviguer Skoldr ! » Elle sourit, déjà ravie de pouvoir lui faire partager ça, ravie de voir que ça lui plait.  Si a l'avenir il le souhaite, elle l'emmènera encore avec plaisir, mais pour ça il faudra vraiment revoir l'intérieur de sa cabine. Elle a retapé ce bateau, agrandir le lit ne devrait pas être sorcier. Elle lui montre aussi comment fonctionnent les voiles, comment les hisser, et les autres spécificités techniques dont pour beaucoup on ne les retrouve pas sur les autres navires car elle a fait en sorte de se simplifier les choses au maximum étant donné qu'elle voyage seule la plupart du temps. Sur le chemin des créatures marines viennent nager a l'avant du navire pour les accompagner, elle lui fait découvrir un maximum de choses et lui raconte tout un tas d'anecdotes sur les histoires qu'elle a eues en mer. Parfois des choses amusantes, impressionantes, parfois elle a eu peur, et ça aussi ce sont des choses a raconter. Elle a toujours su contourner les choses, c'est lui qui lui a appris à ne pas baisser les bras et elle espère qu'il est fier de constater qu'elle suit toujours ses leçons.

Quelques heures plus tard, ils arrivent près de la petite île, elle jette l'ancre et met une barque à l'eau pour qu'ils puissent regagner le rivage. Elle observe l'île alors qu'ils s'en rapprochent, elle fait une centaine de mètres carrés, une végétation très timide, l'île est d'origine volcanique c'est justement ce qui l'intéresse. Il semblerait qu'il y ait des traces de passage, des gens sont déjà venus ici, il y a très longtemps sans doute. Elle ouvre la marche, tend la main sur un arbre fruitier pour lancer le fruit à Skoldr qui marche derrière elle. Elle aime découvrir de nouveau endroits, parfois elle trouve des trésors, des choses que d'autres navires ont laissé sur place, parfois des choses intriguantes que la nature fait. Elle est épanouie dans cette vie, mais l'est d'autant plus qu'elle peut partager ça avec quelqu'un qu'elle estime beaucoup. Il est tellement important pour elle, ça la frustre de ne pas savoir comment l'aider a passer a autre chose, de ne pas pouvoir lui donner ce bonheur. Elle aimerait lui faire un endroit où il s'y sent bien, comme ici, il n'y a pas de lois et pas de hiérarchie, ils sont qui ils veulent, ils font ce qu'ils veulent. Très vite elle retrouve les traces de ces pierres qu'elle cherche, très colorées, si transparentes qu'on peut presque voir à travers. Elle sort la pelle et commence a creuser pour les récupérer et les mettre dans un seau.

« Au début j'étais perturbée d'être loin de la citadelle, je n'avais plus de repères. Maintenant la seule attache que j'ai a la citadelle c'est les quelques personnes qui comptent pour moi. » Elle s'arrête de creuser, essuie son front et pose son attention sur lui. « Toi, tu es important pour moi Skoldr. » Elle le lui a déjà dit une fois, mais elle aimerait qu'il le comprenne en plus de l'entendre. Il sait qu'elle est là pour lui, elle le lui a maintes fois dit et répété. Elle se redresse, face à lui et elle met au creux de ses mains une pierre plus brillante que toutes les autres en cadeau. Une pierre rare et qui vaut cher mais lui ne le sait sans doute pas encore. « Ca me fait plaisir de te voir ici. » Elle lui sourit et sort du trou. « Comment va t-on appeler cette île ? »

S'éloigner de la citadelle, c'est s'éloigner des responsabilités qui t'y incombent. Qui t'incombaient, au passé, plus exactement. Un changement de temps qui se noue dans le regret de ton échec. Cette cicatrice intérieure te ronge et empiète sur chaque aspect de ta vie. Tu n'es plus capable de croire au respect que les autres peuvent te témoigner. Tu ne te sens plus digne de regarder la princesse Vanhylde dans les yeux. Ni de fouler les pavés du Bastion. Pourtant, ce n'est pas l'envie qui te manque...

Et en même temps, qu'est-ce que revenir cinq ans en arrière changera ? Qu'aurais-tu pu faire de plus ? L'éternité est faite de cycles où tous ne survivent pas. C'est le destin tissé par les Nornir. Qui es-tu, bon sang, pour les contredire ? Cette escapade te fera le plus grand bien, tu le sais. Pas uniquement pour le fait de t'éloigner de ce quotidien qui t'enchaîne à une dépression qui te colle inlassablement à la peau. Pas pour la découverte de la navigation et ses secrets. Encore moins pour les poissons à pécher. Aux côtés de Nàl, tu reviens des décennies en arrière. Avant que tu n'aies rejoint les rangs du Bastion. Avant qu'elle n'ait offert sa vie à la mer.

Vous n'êtes pas la einheri et le jötunn. Vous êtes juste deux gosses, deux orphelins qui s'apprennent et veillent l'un sur l'autre. Deux âmes qui se sont implicitement liées pour la vie. Les embruns de la mer te rendent spirituel... ou bien sont-ce les résidus de l'alcool de la veille ? Quand ton regard se pose une fraction de seconde sur la capitaine, un sentiment d'admiration que tu ne sais décrire te frappe. Vos deux natures vous opposent, et pourtant, le tissage du destin persiste à vous relier. C'est une contrariété qui t'amuse. Nàl est l'une des rares descendantes des dieux que tu apprécies avec autant de sincérité. Une pleine confiance. Si aveugle qu'elle pourrait te mener à ta propre perte sans que tu t'en rendes compte. Quel comble pour un guerrier de ta trempe !

La confiance qui vous lie rend son calme plat face à ton incertitude de navigation contagieux. Son contact se fait rassurant, comme à chaque fois. Et tous deux, tenant la barre, tu te sens étrangement à ta place alors que tu n'as aucune idée de quoi faire pour éviter le danger vers lequel vous vous approchez. Toi qui d'ordinaire gardes le dessus sur les choses, effondré dès qu'elles t'échappent, avec Nàl contre toi, tu restes entier.

Contre toute attente, tu te contentes de soupirer un rire réservé à son compliment. D'habitude, tu l'aurais pris pour une tentative de te charrier, ou même, gratuitement, l'aurais charriée en retour. Là, non. Étonnamment solennel.

Tu suis la capitaine dans ses explications et te rends compte de son ingéniosité hors du commun. Nàl, la petite fille perdue, est plus indépendante que tu ne l'as jamais été. Peut-être plus débrouillarde que tu ne le seras jamais. Ce qui, quelque part, te vexe. Après tout, les jötnar sont supérieurs aux einherjar... Mais elle constitue une exception à la règle, sans doute. Ce qui lui apporte tant, c'est sans conteste cette curiosité intellectuelle, sa faculté à écouter et à savoir emmagasiner les informations. Alors non sans orgueil, tu te dis que sa supériorité est le témoin des années passées en ton étroite compagnie. Tu ne t'empêches pas de faire quelques blagues pour tourner en dérision certaines de ses histoires qu'elle te raconte avec tant de passion. Comme pour te rendre intéressant, et aussi par simple réflexe de complicité.

Les heures passées en mer te bercent, et si la terre n'apparaissait pas bientôt, tu te serais certainement abandonné à une sieste. Comme tout immortel, tes besoins physionomiques sont moindres, mais l'oisiveté est un loisir pour toi !

En mettant pied à terre, il te faut quelques minutes pour arrêter de sentir la houle balancer ton corps. Tu es content quand tu retrouves ton équilibre. Comment Nàl peut-elle jongler de l'un à l'autre sans inconfort ? « On est quand même plus à l'aise sur la terre ferme, non ? » Tu la titilles, parce que sans doute préfère-t-elle la mer. Mais un fruit t'arrive en pleine tête et tu le saisis au vol. Sans te poser de question, tu en croques un morceau à pleines dents ! En assurant de mettre tes pieds au bon endroit pour ne pas trébucher sur une roche trop taillée, tu suis ton amie jusqu'à son arrivée à ce qui semble être un gisement qui attise son intérêt. Les cailloux, ç'a toujours été son truc, à Nàl. Pelle en main, elle s'affaire à sa récolte. Tu es plutôt passif, te contentes de lui tendre le seau, observant les alentours pour t'assurer que rien ne vienne troubler le labeur de la einheri. Les traces de pas que vous avez vu plus tôt te laissent suspect.

Nàl se met à évoquer la citadelle, ce qui la retient d'y retourner. Toi. À qui elle tient. Tu le sais ça. Pas besoin de le dire. Tout comme tu ne considères pas qu'elle ait besoin de t'entendre lui dire à quel point elle compte pour toi. Peut-être parce que, justement, tu ne saurais pas expliquer ce qu'elle représente à tes yeux. Que tu ne sais pas toi-même à quel point elle est essentielle à ton existence. C'est une einheri, quel piètre jötunn ferais-tu si tu dépendais d'une personne comme elle ? Ce qui n'empêche pas cet attachement que tu lui voues. Vos deux natures ont longtemps été estompées par l'innocence de votre enfance. Ce n'est qu'une barrière qui est née avec le temps et ton implication dans l'ascension des jötnar. Les servir t'a rendu plus borné sur ces questions biologiques.

Tu prends la pierre qu'elle te donne, te perds dans le scintillement divin qui s'en dégage. Émerveillé comme un enfant face à la plus étincelante des lumières. « Wow ! Joli caillou. » La passion de ton amie reste une intrigue insondable. Mais tu comprends l'attachement qui peut se faire envers les vieilles pierres. Celles qui traversent les pages du temps, avec toutes ses épreuves et son évolution.

Plus qu'une récolte, Nàl souhaite revendiquer ce bout de terre rocheux et lui donner un nom. Tu arques un sourcil avec un sourire moqueur. Mais à se retrouver loin de son monde, de ce que la famille Surt a fait de lui, des pensées plus libres viennent le confronter.

Pour une raison obscure, ton visage se ferme et se ternit d'un voile trouble. Ta mâchoire se crispe au souvenir d'un domaine qui appartenait à tes parents. C'était un petit lopin de terre incultivable, mais qui était resté dans sa famille pour une raison qui lui échappe. Perché dans la montagne qui domine Everlasting. « Haugr. » Laconique, pensif. Loin des jugements. Tu continues à observer cette pierre hypnotisant ton esprit et sens cette connexion avec ton passé se faire. Peut-être est-ce la clé vers ta renaissance... De retrouver ces racines qu'on t'a convaincu de dénigrer et de renier en bloc. Mais le temps de l'introspection te file une angoisse. Alors rapidement, tu plisses les yeux d'un air accusateur à Nàl. « Parce que si t'es partie pour retourner la terre sur tout le périmètre, c'est tout ce qu'il en restera : un trou surmonté d'un monticule de terre ! Tu veux que je prenne le relais ? Ou tu as tout ce qu'il te faut ? » Même si bon... c'est le propre d'une île : une excroissance de terre posée là, en plein milieu de l'eau.

Arrivés sur l'île, Skoldr évoque un confort plus certain sur la terre ferme. Elle ne peut pas le contredire, parfois le roulis des vagues l'épuise bien qu'elle préfère être en mer que sur terre. Alors ces petits îlots sont toujours un moyen de faire une petite pause durant les trop longs voyages. Elle est heureuse de pouvoir lui montrer a quoi ressemble sa vie quand elle n'est plus a la citadelle, sa présence lui est bénéfique, agréable, et elle aimerait parfois que cela soit toujours ainsi. Tandis qu'elle déterre les quelques pierres qu'il lui fallait pour son artisanat, elle garde un œil sur Skoldr, essaye de voir s'il se sent bien, s'il se sent mieux ; soucieuse de ton bonheur et de son bien être. Nàl lui propose tout naturellement de trouver un nom pour cette île, après lui avoir fait cadeau d'une pierre précieuse, qu'il se souvienne toujours de ces instants de calme avec elle.

« Haugr. » Elle répète, n'oubliera pas de le rajouter sur la carte qu'elle dessine de ces îles qu'elle explore et qui sont inhabitées. Elle aime bien ce nom, mais il semble avoir plus de signification pour Skoldr qui semble perdu dans ses pensées. Peut être que ce lieu lui évoque quelque chose, elle serait curieuse de savoir quoi. Mais pas le temps d'entamer la conversation en ce sens, qu'il la tire de ses pensées et demande si elle a finit ou si elle a besoin d'un relais. « J'ai tout ce qu'il me fallait ! » Elle sourit, rebouche le trou pour laisser l'île harmonieuse même si ce n'est qu'un monticule de terre au milieu de nul part, la nature se doit d'être conservée. « On va aller sur l'autre île, c'est pas loin » De quoi se faire une bonne petite soirée de grillades sur la plage et sous les étoiles, avec en fond sonore les vagues balayant le sable sur leurs discussions. Elle observe un peu les alentours, nul doute qu'elle reviendra ici, peut être pour creuser un peu plus et voir si cette île n'a pas d'autres trésors a offrir. Pour le moment elle veut surtout se concentrer sur Skoldr et lui offrir un moment de répit dans ses tourments, alors sa récolte sera amplement suffisante pour le moment.

Ils voguent encore une heure avant de trouver la petite île sur laquelle elle aime parfois se reposer. Il y a quelques gemmes ici, l'activité volcanique se fait ressentir par les quelques recoins de sable noir et c'est ce qui donne les pierres les plus intéressantes dans les profondeurs. Une île qui au vu de sa végétation a tout de même quelques années d'existence. « Je te présente mon havre de paix ! Nous resterons ici pour la nuit, le spectacle sous les étoiles est fantastique ! » Elle sourit a Skoldr, ils arrivent tandis que le soleil a déjà commencé sa descente.  Pied sur l'île, son navire mouille quelques mètres plus loin, une petite barque leur a permis d'arriver jusque là au sec. Elle a veillé a ramener le matériel de pêche comme Skoldr voulait pêcher. La einheri prépare le matériel et quelques instants plus tard les voilà côte a côte les pieds dans l'eau, leurs lignes tendues avec un superbe panorama sur l'immensité bleutée et le ciel qui commence a se parer de couleurs chatoyantes. La mer est calme, un peu froide, mais relativement agréable. Il fait beau, ils ont de la chance, elle ne voulait pas le confronter a une tempête en mer tout de suite. « Tu sais si tu as besoin de parler, ou de te confier, je suis là Skoldr. » Elle le lui a déjà dit plusieurs fois en quatre ans, mais il ne le fait pas, il garde pour lui et elle ne veut plus le voir se détruire de l'intérieur.

Dépaysé et loin de tout, je me sens plus léger. Cette escape est une riche idée, comme souvent en jaillit de l'esprit inventif de Nàl. Soucieux de ne pas la laisser faire tout le sale boulot, je propose mon aide ; au bon moment : elle a tout ce qu'il lui faut. Un haussement d'épaule, trop tard. Je tente toutefois de l'aider à reboucher le trou, quitte à me salir les mains. Une autre île nous attend, pas très loin.

Il faut toutefois une bonne heure pour atteindre l'autre île. Certes, à l'échelle des mers, ce n'est pas si éloigné que ça, mais pour un novice comme moi, le temps passe lentement ! Cette fois-ci, la terre semble plus fertile et riche en végétation. Nàl me présente l'endroit comme étant son "havre de paix". Je pouffe un petit rire à demi-moqueur. Nous embarquons sur le canot qui nous permettra d'atteindre la plage. Deux cannes à pêche et le soleil en fond qui se couche peu à peu.

Sur ce moment passé ensemble et jusqu'aux lignes sereinement plongées dans l'eau qui nous remonte sur les jambes, je taquine Nàl sur son côté exploratrice isolée. Que pense-t-elle découvrir ? Un nouvel Idavoll ? Pêcher Jörmungand ? Ce côté aventurier chez elle m'attendrit. Comme si, quelque part, Nàl s'était enfermée dans des ambitions enfantines et des rêves d'un ailleurs qu'elle s'échine à vouloir trouver. Je la charrie tout en l'enviant. Ma vie aurait été si différente si je m'étais détaché de la politique...

C'est dans ce cadre idyllique et le silence des vagues apaisées qu'elle me propose, comme elle l'a souvent fait, son oreille attentive. Je lui souris timidement, le regard qui se perd sur l'écume qui me chatouille les tibias. « Je sais », échappé-je d'une voix coupable. Elle est ma meilleure amie, et pourtant je n'arrive pas à trouver les mots pour lui dire ce qui se passe dans mon esprit. Une part de pudeur, de honte, certainement. Mais aussi parce qu'on a toujours fonctionné sans mots. Un simple regard, un simple geste. Et les sujets plus complexes qui ne peuvent s'exprimer autrement qu'en paroles peinent à franchir la barrière de ce complexe qui m'enlise.

Le silence revient, se fait pesant. Mais les mots ne viennent pas. Jusqu'à une pensée qui me rattrape. « Tu te rappelles quand petit, on s'éclipsait pour que je t'apprenne les passes de combat que je venais de découvrir ? Demandai-je en attendant sa réponse pour poursuivre. Je donnerai le monde pour retourner à cette époque. M'enfermer dans cette boucle temporelle ou jamais nos chemins ne se sont séparés. Où jamais, je n'ai accepté toutes ces responsabilités pour lesquelles j'ai ce sentiment d'avoir échoué... Je me pince les lèvres un instant avant de reprendre. Aujourd'hui, tu n'as plus besoin de moi, c'est même plutôt l'inverse... Et tout ce sur quoi j'ai construit mon avenir n'a plus aucun sens. L'éternité sera longue. Trop longue. » Je soupire et me reconcentre sur la ligne sans prise.

À demi-mot, j'avoue mon échec, cet abandon dont le glas a sonné il y a cinq ans déjà. Je n'ai qu'une chose à attendre : qu'éclate le prochain conflit, que je puisse terrasser mes ennemis jusqu'à dépérir sur le champ de bataille. C'est ma seule ambition aujourd'hui. Rien de bien glorieux... D'un cynisme, on ne peut plus morbide ! Mais c'est la réalité de mes pensées. Car remonter le temps est impossible. Retrouver les miens est impossible. Je suis délaissé des nornir, à la dérive.

Nàl voit que prendre de la distance lui fait du bien et elle est heureuse. Mais elle ne peut s'empêcher de penser que le fond de ses pensées restent sombres. Elle voudrait l'aider, elle voudrait que quand ils retournent à la citadelle il sache par où commencer pour se sortir de ce tourbillon infernal. Et pour ça il faudrait d'abord qu'il commence par lui parler, mettre des mots sur ce qui le touche afin qu'elle puisse l'aider a y voir plus clair. Il a besoin d'aide et elle l'aime elle ne peut pas le laisser comme ça. Alors elle essaye une nouvelle fois de lui tendre la perche, voir s'il va s'en saisir pour qu'ils puissent commencer a en parler. Il le sait, et alors elle le regard commencer a s'ouvrir, évoquant leur plus lointain souvenir commun.

Nàl sourit, elle s'en souvient bien entendu de ces instants à la dérobée de leurs supérieurs où il lui apprenait a savoir se défendre et où il a nourri en elle la volonté que son quotidien change. Il l'a façonnée, si elle est ce qu'elle est aujourd'hui, c'est grâce à lui. Il lui a fait don de la confiance en soi et sans doute le plus beau des cadeaux qu'il lui ait été donné de lui faire. « Je chéris ces souvenirs.. » Elle se laisse soupirer avec un sourire heureux, pour autant ne voudrait pas remonter le temps. Contrairement a Skoldr qui avoue désirer retourner en ces temps là. Tandis qu'elle tient sa ligne, Nàl tourne la tête et ainsi ses yeux profonds sondent Skoldr, il semble se laisser un peu plus aller dans la nostalgie, l'exprime enfin. Le sentiment d'avoir échoué est le pire qui soit, et elle comprend sa douleur, elle comprend tout a fait, il était fier et heureux de sa position. Malheureusement il n'y est plus et maintenant il doit vivre avec ces regrets.  Elle l'écoute se confesser et se noyer dans sa nostalgie, revenir en arrière, pour quoi faire ? Ces moments là aussi agréables avaient ils été ne sont faits pour n'être vécus qu'une seule fois. Rester figé sur le passé ne sert a rien, l'avenir a tant a offrir. Elle observe Skoldr tandis qu'elle voit sa mine se ternir. Tandis que Nàl, son sang commence a bouillir dès l'instant où il dit qu'elle n'a plus besoin de lui. Elle ne sait pas pourquoi cela la fait trembler de rage. Elle a besoin de lui, elle ne peut vivre sans sa présence, il lui est indispensable, il est un repère.

« Bien sûr que si.... »Nàl peste, les sourcils froncés « J'ai besoin de toi, j'ai toujours besoin de toi et j'aurais toujours besoin de toi, tu m'es tellement précieux. » Elle le dit comme si c'était une évidence et pas pour lui faire plaisir. Parce que c'est le cas, il n'a pas besoin d'être là pour la protéger, il néglige le seul fait de sa présence qui lui est aussi vivifiant que se retrouver en mer. Du moins quand il est sobre. Elle apprécie aussi ses conseils avisés, elle a besoin de la bonne humeur dont il sait parfois faire preuve et de son amitié...De sa proximité... « J'ai besoin de toi comme j'ai besoin d'air pour respirer. ». Ce qu'il lui dit l'agace, parce qu'elle sait qu'il est un jötnar plein de ressources et que s'il le veut il peut se faire un avenir brillant et qui le rendra heureux.  « Ton avenir n'aura plus aucun sens si tu le décides ainsi.  La vie est pleine d'opportunités et les chemins sont multiples ! Peut être que tu aurais préféré de rester là où tu étais, et bien peut être que tu pourras reprendre ton rang ou alors tu feras autre chose qui te rendra plus heureux ! » Elle évite d'être trop sèche dans sa manière de parler, mais elle tente de lui ouvrir les yeux et de le raisonner. « Donne moi une épée je deviens soldat, donne moi un marteau je deviens forgeronne, donne moi un navire je deviens capitaine. » Elle illustre,  la voie n'est pas unique, sinon a quoi bon vivre ? «  Tu es une personne pleine de capacités, tu es intelligent, tu es empathique, curieux, tu sais te défendre et te débrouiller dans les situations les plus extrêmes. Pourquoi ta vie se résoudrait a être ce que tu étais avant ? N'as tu pas envie de voir comment ta vie serait si tu avais choisis autre chose ? » Elle croit en lui, il s'en sortira elle en est persuadée, mais sa déprime a trop duré et maintenant le temps est venu de le secouer.

Les années, décennies et siècles qui nous séparent de ces souvenirs chéris me semblent appartenir à quelqu'un d'autre. La vie m'a appris que le mérite ne payait pas toujours, et aussi que ce n'étaient pas les plus justes qui se retrouvaient récompensés de leurs sacrifices. Une désillusion à laquelle je n'étais pas si bien préparé. Si reconnaissant de l'opportunité qui m'a été donnée de m'extirper de mes géniteurs et de leur ombre néfaste, je ne m'étais pas préparé comme il fallait. Mon éducation mise en miroir avec Nàl, qui a été méjugée ne serait-ce que par sa nature de einheri, m'a fait considérer que j'étais à l'abri de tout ce qui pouvait causer du tort et du mal à une personne. Je me trompais sur toute la ligne. Quand je la regarde, je me demande comment j'ai pu garder la tête à ce point dans le guidon...

Demain, Everlasting pouvait s'effondrer, Nàl serait toujours debout. Capitaine de son navire à voguer au gré des vents. Moi ? Un jötunn, aussi renommé et puissant soit-il, était mort et ça m'avait mis à terre. Cela fait cinq ans. Un clignement d'œil, certes. Mais ces cinq années ont été passées à ressasser le problème et le retourner dans tous les sens. Quelque part, je me disais qu'une bonne manière de tourner la page, c'était de comprendre ce qui s'était réellement passé, lors de cette nuit fatidique. Intimement, j'étais convaincu que ça me permettrait de libérer les démons qui me pourchassaient. Cependant, difficile de savoir par où commencer. Les grands de ce monde m'avaient mis de côté. Le fait de m'éloigner de cette vie n'a eu pour effet que de conforter leurs suppositions.

Ne sachant pas si j'aurais la force d'affronter demain - avec et pire : sans hydromel - je voulais me concentrer sur quelque chose de plus court termes : ne pas sombrer en mer, par exemple. Ou ne pas finir au bout de la ligne de Nàl. Mon regard se pose sur elle, car je ne pensais pas avoir dit quoi que ce soit qui pourrait la faire sortir de ses gonds. Mais bon, elle a toujours tendance à dramatiser ! Pourtant, je voyais qu'elle était profondément touchée, alors je ne faisais plus trop attention à la ligne que je tenais, gardant mes yeux posés sur elle. Cependant, aucune animosité ne transparaissait dans ses paroles.

Prendre une leçon de morale n'est jamais agréable, mais il n'y a pas vraiment d'autres moyens pour se faire entendre à mes oreilles. Me rentrer dedans, c'est la seule manière que je me connaisse. Mes traits se crispent. Non pas de colère, mais de réflexion (un exercice que j'ai abandonné depuis trop longtemps) face à ce que me disait mon amie. Je me sentais vide, sans plus rien à offrir et sans aucune autre valeur que d'être un poids à ses yeux. L'exact opposé de son laïus. Le pensait-elle vraiment ?

Nous n'étions pas le genre d'amis à proférer des banalités hypocrites juste pour faire plaisir à l'autre. Plus jeunes, on venait chercher l'autre quand on voyait quelque chose d'extraordinaire se produire, ou qu'on nous avait offert, à l'un ou l'autre, une friandise que l'on se partageait à l'ombre des regards. Le genre d'amis à reconnaître les bêtises que l'un fait et le lui disant, mais en faisant le nécessaire pour le couvrir, quitte à assumer une erreur à sa place. Je n'ai jamais compté ces instants où par mauvaise foi, Nàl allait se prendre des remontrances et où je la sortais d'affaire. En me dénonçant ou en la cachant. Mais il est vrai qu'au moment où j'ai souhaité être protecteur, j'ai pris un bouclier. Des moments où je souhaitais son sourire, je prenais mes meilleures frasques.

L'âge ou la gravité des erreurs, leurs conséquences, quand on est propulsé à une place comme je l'ai été, a bridé cette fougue qui guidait mes pas et me poussait à devenir ce que je souhaitais être. Cela dit, je n'allais pas remercier Nàl de m'avoir ouvert les yeux... Peut-être le voyait-elle dans mon regard. Je la fixais tout en étant loin dans mes pensées. Je me rends compte qu'elle a toujours été là, près de moi. Une complice, une muse, une pensée. Il n'y avait pas un seul endroit à la citadelle que je ne pouvais pas rattacher à un morceau de notre histoire. Comme si nos vies, aussi différentes soient-elles, s'étaient déroulées sur la même toile du destin. Et que d'une certaine façon, quoi que l'on fasse, nous étions aussi liés que deux doigts d'une main.

Cette einheri avait été mon ombre pendant des siècles. Proche ou éloignée physiquement, il n'a pas existé de jour sans que je n'ai pensé à elle. Malgré ça, j'avais l'impression de véritablement la voir qu'aujourd'hui. Affublée telle une aventurière, déterminée comme un prédateur, protectrice comme une mère. Dans ce bref instant, j'étais incapable de dire lequel des deux tenait le plus à l'autre. Je n'avais envie que d'une chose : abandonner la pêche et la serrer contre moi. Prendre de sa force et lui donner de la mienne. Lui dire à quel point j'étais nigaud et que la mesure de tout ce qu'elle représente pour moi commençait à se faire une place dans mon esprit primaire. Sa beauté n'était qu'un agréable supplément face à cette chaleur qui naissait en moi en la regardant ainsi...

En reniflant, je redirige mon regard vers le large et secoue ma ligne. Rien au bout, évidemment. Je sors l'hameçon de l'eau et le dirige au niveau de Nàl. « Ton adage ne marche pas avec la pêche. Tu m'as donné une canne, mais ça mort pas... » De quoi détourner mes pensées. Peut-être pas le sujet, mais au moins m'éloigner de cette route tortueuse.